Après nous être intéressés à notre gallinacé dans le bulletin de décembre 2004, nous ne quitterons pas notre clocher sans aller voir d’un peu plus près, qui se cache tout là-haut derrière ces abat–sons, bien à l’abri de tous les regards.

Dans leur superbe demeure récemment restaurée, elles nous rappellent très souvent leur présence par leurs tintements si particuliers. Mais aujourd’hui, si nous allions les surprendre en pleine discussion à l’heure des matines, et leur donner la parole sous la forme d’une interview un peu particulière.

Victorine – Marie …une cloche pas comme les autres

« -Bonjour Victorine – Marie, je suis heureux de vous rencontrer, votre cachette est vraiment superbe mais pas facile d’accès. Que de portes et d’escaliers pour vous atteindre. Mais dites-moi qui êtes-vous ?
-Bonjour et bienvenue. Je suis née en 1932 dans la fonderie de Ferdinand Farnier à Robécourt dans les Vosges. J’aurai donc 73 ans le 31 juillet 2005, je pèse 630 kg et j’ai une âme d’airain. Rien de comparable bien sûr avec une de mes sœurs Anne – Charlotte le bourdon de Saint – Christophe à Belfort, qui lui pèse 4425 kg et qui aura 102 ans le 26 juillet 2005. Mais si 29 ans nous séparent, nous avons eu le même maître saintier de Robécourt.

-Que savez vous sur la première cloche de notre église ?
-La première cloche fut mise en place en 1551, non pas dans la tour actuelle de ce clocher qui n’existait pas, mais dans un beffroi qui dominait l’avant chœur de l’église dont sa construction remontait en l’an 869. Elle pesait 1784 livres et avait été fondue par M.Chaucun. Au moment de l’installation de cette cloche, le curé de Chaux s’appelait M. Regnault Rossel. Mais n’oublions pas l’épisode révolutionnaire : en octobre 1793, An 2 de la République, s’en vinrent deux commissaires du comité de salut Public chargés de faire appliquer la loi du 23 juillet sur la réquisition de toutes les cloches de la région en vue de les convertir « en bouches à feu, en canons et en pièces de monnaie », dont les armées révolutionnaires avaient grand besoin. C’est ainsi que disparut notre sœur, elle avait 242 ans.

-Mais alors, de quand date notre clocher actuel et pourquoi ce silence ?
-Avec le curé Bourquenez l’édifice va subir de profondes transformations. La reconstruction de la nef en 1768 avec la démolition du beffroi, puis la construction du clocher en 1770. Le clocher sera élevé sur la base de l’ancien mur de la tour carrée qui avait une dizaine de mètres de hauteur, trapue, massive, surmontée d’un toit ayant la forme d’une pyramide quadrangulaire en forme de donjon, et qui servait de refuge et de forteresse aux habitants menacés par une incursion de brigands ou de féodaux en mal de pillage.
Une nouvelle cloche fut installée après la révolution, mais elle restera muette un beau jour de l’an 1820. Pour remplacer ce silence devenu laçant, la municipalité accepte une soumission du fondeur Robert Rollet de Jarville. Il s’oblige à refondre la cloche existante moyennant 0,50f le kilo et il en fondra deux autres au prix modique de 2,58 f le kilo. Ces deux cloches furent fondues en juillet 1824 sur la place de Giromagny. La première pesant 1194 livres sera la grosse cloche, et la deuxième un peu plus petite pesant que 987 livres seront installées.

-En 1824 Chaux avait-il retrouvé ces deux cloches ?
Les villageois pouvaient enfin réentendre leurs sons, et vivre au rythme de leurs sonneries. Mais en 1844 la grosse cloche est déjà fêlée, il faut la refondre. Le 23 juin le conseil municipal accepte la soumission des frères Bender. Elle sera fondue pour donner naissance à une autre cloche. « MARIE –JEANNE » Elle sera un peu plus lourde, car elle pèsera 1260 livres. Le jour de son baptême on pouvait lire sur ces flancs : « En l’an 1844, j’ai été bénite par M. Auguste Doll, curé de Chaux ; j’ai eu pour parrain Jean Claude Pommier et pour marraine Marie- Jeanne Liebelin, épouse de Louis Prévot, Maire. j’ai été fondue par les frères Bender à Thann ».
La troisième cloche fut installée en 1858, afin d’accomplir le vœu de Claude Jacques Prévot Maire de Chaux. Elle s’appelle « Marie – Anne » et pèse 1090 livres.

-Vous me dites Victorine – Marie être née en 1932 de l’airin de Marie – Jeanne ?
-C’est exact , “ Marie -Jeanne ” la grosse cloche installée en 1844 dans le clocher avait un son quelque peu voilé à cause d’une fêlure. Elle pouvait rester sans voix d’un jour à l’autre. On décida de la refondre, et de me donner vie. Son poids était identique au mien (1260 livres). Le conseil vote alors un crédit de 4000 francs. Mon acte de naissance venait d’être signé ! j’allais voir le jour….……c’était il y a 73 ans, comme le temps passe vite.

-Et de votre baptême Victorine – Marie, quel souvenir en avez vous gardé ?
-Une grande joie. Ce 31 juillet 1932, la paroisse de Chaux était en liesse pour mon baptême, ou une grandiose cérémonie me fut destinée. Placée dans le cœur de l’église, j’ai été admirée dans ma jolie robe blanche brodée de dentelles et entourée de mon parrain et de ma marraine, j’ai été baptisée par l’abbé Joseph Litot, curé de la paroisse. Il officiait ce jour là aux côtés du chanoine Albert Brun, curé doyen et recteur de la basilique de Faverney que le cardinal Binet archevêque de Besançon avait délégué. Aujourd’hui encore, on peut lire l’inscription gravée sur mon airin : « j’ai été bénite par les soins de l’abbé Joseph Litot, curé de la paroisse. Je m’appelle Victorine-Marie . J’ai pour parrain Victor- Michel Faivre et pour marraine Marie-Céline Belot-Louis. J’ai été fondue aux frais de la commune en l’an de grâce 1932, sous l’administration de Paul Morcely, Maire. Je chante la gloire de Dieu., et Je m’associe à la joie et à la douleur de tous ».

-Présentez moi vos deux sœurs avec qui vous composez cet ensemble assez impressionnant par la taille de la charpente et le poids de vos supports.

cloche1
Marie – Anne
année 1858
cloche2
Victorine – Marie
année 1932
cloche3
Thérèse
année 1824

-A ma droite, la plus petite mais la plus ancienne, elle a 181 ans. Prenez le temps de lire sur sa robe son acte de baptême
“ En l’an 1824 j’ai été bénite par Mr Etienne Paclet curé cantonal et Mr Jacque Gaijean curé de la paroisse. J’ai eu pour parrain Mr Pierre Liebelin fils de Mr Claude Jacque Liebelin Maire de Chaux, et pour marraine Mme Thérèse Prévot de Chaux. F. Robert m’a fait ”.
Elle s’appelle : THERESE

-A ma gauche ma deuxième sœur, un peu plus jeune car elle n’a que 147 ans ! mais elle aussi possède son acte de naissance gravé sur son airin.
“ J’ai été fondue en 1858 par Mrs Bender frères de Thann pour accomplir le vœu de feu Claude Jacques Prévot ancien Maire de Chaux, et de son épouse Marie Anne Briqueler que j’ai pour marraine. Leur fils Claude Jacques Prevot pour parrain et époux de Marie Henisse, et ai été bénite par Mr Bidaine curé de Giromagny et Mr Doll curé de la paroisse. Mr Didier était le Maire de Chaux ”.
Elle s’appelle : MARIE – ANNE

Les cloches étant d’essence féminine portaient toujours le prénom de leur marraine. Mais en 1903 l’église a tenu à les personnaliser afin que l’orgueil masculin soit sauf. Le prénom du parrain au féminin précèdera toujours celui de la marraine.

-Je vous vois raccordée à un moteur par une chaîne, donc plus de cordes à tirer pour vous faire retentir !! mais alors depuis quand êtes-vous électrifiée ?
-Cela est assez récent, notre raccordement électrique s’est fait en 1960, par les établissements Aubry – Rambau de Lyon. Monsieur l’Abbé Girardin était le curé la paroisse de Chaux.

-Savez vous où se trouve la plus ancienne cloche du Territoire de Belfort en activité ?
-Née en 1523, elle se situe dans le clocher de Buc, et pèse 1050 kg.

-Vos sonneries ont toujours été très utiles pour les villageois ?
-Oui je le pense, car en dehors des offices religieux, on sonnait souvent les cloches pour annoncer une arrivée royale. Mais on s’est servi de nous aussi pour donner l’alarme en cas de guerre, d’incendie ou d’inondation. ( LE TOCSIN ).

-Dites- moi, cela ne vous semble-t-il pas étrange d’être interviewée ?
-Reines de l’harmonie, suspendues entre ciel et terre, nous sommes la voix, non seulement de l’église mais aussi de toute la communauté qui s’est installée autour de nous. Il n’y a donc aucune étrangeté à ce que vous vous adressiez à moi comme à n’importe quel personnage historique.

-Par ces quelques lignes tous les habitants du village vous connaissent beaucoup mieux. Ils auront une toute autre écoute sur vos sons harmonieux les jours ou vous retentirez. Je vous remercie Victorine – Marie et je vous laisse conclure notre interview .
-J’aurais encore mille choses à vous raconter, mais il se fait tard et l’heure de l’angélus arrive.!…….Vite, je dois vous quitter, revenez nous voir, et merci de votre visite. »

? …DIG – DONG …?

PS : Je ne terminerais pas sans remercier Mr Emile Wimmer , Mr Jean Marie et Mme Claudine Millet pour l’aide précieuse qu’ils m’ont apportée dans la rédaction de mon article.

Sources :Archives départementales Archives et documents personnel . Les paroisses du Territoire ISBN 2.251.60.471.5
Journal ( La République ) 1950 . Histoire de Chaux de Mr Georges SCHOULER

dessincloche